Histoire du lieu

La renaissance du musée Albert-Kahn est l’aboutissement d’une démarche de patrimonialisation progressive du site engagée dès la fin des années 1930.

« Je ne vous demande qu’une chose, c’est d’avoir les yeux grands ouverts »

Albert Kahn à Etienne Dennery, boursier, juste avant son départ pour voyage autour du monde, en 1926.

 

Humaniste, passionné de voyages, attiré par les sciences, discret mais aussi homme de réseaux, s’interrogeant sur le monde en devenir, le banquier d’affaires Albert Kahn a développé divers projets au service de la société pour permettre la connaissance du monde et de ses populations à l’heure des changements du début du XXe siècle (révolution des transports, urbanisation, industrialisation, colonisation, mondialisation).

Aux origines : le « campus » d’Albert Kahn

À la fin du XIXe siècle, Albert Kahn, alors en pleine ascension professionnelle, s’établit dans un quartier résidentiel et verdoyant de Boulogne-sur-Seine, où la famille Rothschild s’est déjà installée.

En 1895, il achète le bel hôtel particulier en brique et pierre qu’il louait depuis deux ans et dont il avait fait orner les abords dès son arrivée. De 1895 à 1920, il acquiert patiemment les parcelles avoisinantes et constitue ainsi une propriété de 4,2 hectares pour y réaliser un jardin reflétant son idéal, celui d’un monde en harmonie.

 

La propriété de Boulogne, est, dès l’origine, l’épicentre du projet hors norme d’Albert Kahn :

  • lieu de vie et de sociabilité privée,
  • siège de certaines de ses fondations et de la Société des boursiers Autour du Monde,
  • base arrière et laboratoire des Archives de la Planète,
  • laboratoire de biologie de Jean Comandon,
  • imprimerie,
  • centre de documentation, 
  • jardin à scènes paysagères et salle de projection où sont accueillis les invités du banquier pour des promenades et conférences au service de son projet d’influence.

L’après-Kahn

Après la faillite d’Albert Kahn, ruiné par la crise boursière de 1929, les jardins et les collections d’images, ainsi qu’une partie du matériel du laboratoire sont rachetés à partir de 1936 par le département de la Seine, qui laisse au mécène ruiné la jouissance de sa maison jusqu’à sa mort le 13 novembre 1940. Les jardins sont ouverts pour la première fois au public en 1937, à l’occasion de l’Exposition internationale. Le site voit en 1938 la mise en place de la phototèque-cinémathèque de Boulogne, qui sert de vivier d'images à certains grands noms du cinéma, tel Abel Gance pour son film "J'accuse".

 

En 1968, le département des Hauts-de-Seine, nouvellement créé, devient propriétaire des jardins et des collections. C'est vers 1975 que voit le jour un programme d'étude et de valorisation des collections. Sous la direction de Jeanne Beausoleil, l'ensemble devient musée départemental en 1986 puis accède au statut "musée de France".

D’importants travaux de restauration des jardins sont alors engagés, s’appuyant en particulier sur la riche collection des autochromes représentant la propriété de Boulogne à l’époque d’Albert Kahn. La première galerie d’exposition (aujourd’hui intégrée au nouveau musée), conçue par l’architecte Gérard Planes, est inaugurée en 1990, ainsi que le jardin japonais contemporain, œuvre du paysagiste Fumiaki Takano.

Vers le nouveau musée entre nature et culture

Au tournant des années 2010, sous l’impulsion de Patrick Devedjian, président du Département des Hauts-de-Seine, un ambitieux projet de restructuration et d’agrandissement du musée est engagé par le département.

 

La rénovation a pour objectif d’améliorer les conditions de conservation et de valorisation des collections, en particulier par la création d’un parcours permanent de visite, et de remettre à niveau les conditions d’accueil du site qui reçoit déjà près de 120 000 visiteurs par an en moyenne.

 

Le concours d’architecture du nouveau musée est remporté par l’architecte japonais Kengo Kuma en 2012 et les travaux démarrent en 2015, année de l’inscription du site au titre des monuments historiques. Le nouveau bâtiment dessiné par l’architecte Kengo Kuma s’inspire de la relation particulière d’Albert Kahn avec le Japon : le projet architectural met en scène le rapport du dehors et du dedans, de la ville, du musée et du jardin. Ce lien entre culture et nature apprivoisée, Kengo Kuma en fait le cœur de son projet d’extension du musée et de la recomposition des quatre bâtiments patrimoniaux qui ponctuent le parcours de la visite.

À l’extérieur, la façade sur rue est une enceinte qui protège et révèle à la fois le nouveau musée. L’enveloppe de pliures métalliques dissimule au regard l’écrin végétal intérieur ; la nuit, elle laisse apparaître entre les lames laquées les lumières du musée, comme une lanterne. Une fois passée l’entrée à pans inclinés, le vocabulaire architectural change, avec un jeu d’écrans, de résilles de lattes de pin et d’aluminium, de passerelles qui rythment la façade intérieure et la relie au jardin.

À l’intérieur, chaque ouverture est un cadrage, le regard traverse les hautes parois vitrées et se plonge déjà dans la prairie douce du jardin anglais. Des lignes longitudinales dynamiques se répondent, des lattes du plancher aux gradins, jusqu’au plafond à lamelles de bois infinies, renforcées par des effets miroir.

Le projet de rénovation en chiffres 
  • 4.600 m2 de surface totale du musée
  • 2.300 m2 de surface du nouveau bâtiment de Kengo Kuma
  • 8 bâtiments rénovés (7 bâtiments patrimoniaux du site et l’ancienne galerie)
  • 3 maisons japonaises traditionnelles restaurées
  • 1000 m2 consacrés au parcours permanent sur l’ensemble du site
  • 600 m2 dédiés aux expositions temporaires
  • 100 m2 destinés au Salon des familles
  • 1 nouvel auditorium de 100 places

Une architecture inspirée de l'engawa

Le projet instaure un dialogue entre bâtiment et jardin au travers d’un élément emprunté à l’architecture traditionnelle japonaise : l’engawa, espace limitrophe entre intérieur et extérieur. La réinterprétation de cet élément qui se développe sur l’ensemble des bâtiments rénovés permet de tisser un lien entre les différents éléments du site et de forger une identité, une cohérence, à l’ensemble. L’écho sériel des matériaux – bois, bambou, métal – dans chacun des espaces renforce encore cette cohérence d’ensemble.

Kengo Kuma

Né en 1954 à Yokohama, Kengo Kuma suit des études d’architecte et d’ingénieur à l’université de Tokyo, où il obtient son diplôme en 1979 et enseigne encore aujourd’hui. En 1990, il fonde son cabinet d’architecture, Kengo Kuma & Associates. En 1997, il gagne le prestigieux prix de l’Institut architectural du Japon. Son œuvre se présente avant tout comme une critique des académismes, des formalismes et de toute complaisance au style et à la mode.

 

Seul architecte figurant dans la liste Time Magazine des 100 personnes les plus influentes au monde, Kengo Kuma a notamment dessiné le stade olympique de Tokyo 2020 et le Victoria & Albert Museum de Dundee (Écosse). En France, il a signé le Frac de Marseille, le Conservatoire de musique et de danse d’Aix-en-Provence, et la future station de métro Saint-Denis-Pleyel.

Kengo Kuma œuvre constamment à intégrer de façon harmonieuse ses projets dans leur environnement et leur contexte culturel. Son travail se définit comme une synthèse entre Orient et Occident, cherchant à réactualiser, dans une société post-industrielle, des techniques traditionnelles et à proposer une approche architecturale à échelle humaine.