Les Archives de la Planète
Soucieux de construire un inventaire visuel des transformations de son temps, Albert Kahn emploie sa fortune à la réalisation d’un vaste programme de documentation du monde.
Dès 1912, il façonne le projet de constituer, selon ses propres dires : « une sorte d’inventaire photographique de la surface du globe, occupée et aménagée par l’homme, telle qu’elle se présente au début du XXe siècle ». Ainsi naissent les « Archives de la Planète », vaste projet documentaire qui constituent aujourd’hui le socle des collections du musée départemental Albert-Kahn.
Homme de son temps, conscient des bouleversements à l’œuvre dans le monde, Albert Kahn envisageait alors un projet global : « la photographie stéréoscopique, les projections, le cinématographe, surtout voilà ce que je voudrais faire fonctionner en grand afin de fixer, une fois pour toutes, des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps ». Il exploite deux inventions récentes et complémentaires des frères Lumière : le cinématographe (1895) et l'autochrome (1907), la première enregistrant le mouvement et la seconde la couleur.
Albert Kahn engage Jean Brunhes en tant que directeur scientifique, initiateur de la géographie humaine. Ce dernier essaie d’instaurer une méthodologie reposant sur cette nouvelle discipline : l’enregistrement classifié des traces de l’activité humaine sur l’épiderme du globe. Kahn donne une inflexion plus ethnographique. Tous deux s’intéressent aussi aux mouvements politiques et sociaux. Dès 1913, le géographe tente une synthèse de ces différentes approches, définissant l’entreprise « comme un dossier de l’humanité prise en pleine vie, au commencement du XXe siècle, à l’heure critique de l’une des “mues” économiques, géographiques et historiques les plus complètes qu’on ait jamais pu constater. »
En définitive, le projet échappe à toute catégorisation stricte. Sa limite se situe bien sûr dans son impensable exhaustivité. Pourtant, à son début, il ne faisait aucun doute pour Kahn qu’un jour « toute notre petite planète » – comme il l’écrit – serait devenue « familière » à ses preneurs d’images. L’expression, qui anticipe notre « village planétaire », est symptomatique à la fois de l’optimisme de son auteur, de sa conscience de l’uniformisation en marche et de sa vision de « citoyen du monde ».
La photographie en couleurs et le cinéma, innovations récentes, sont encore perçus par lui dans tout l’éclat de leur puissance originelle, comme une véritable « empreinte » mémorielle du réel, un moyen de conserver « vivants quoique disparus » tous les « phénomènes d’intérêt général ». Car les Archives de la Planète, comme l’indique leur nom, doivent permettre aux générations futures de se nourrir des « enseignements que comporte le tableau direct de l’évolution ».
Des techniques au service d’un projet de captation du réel
L’autochrome
Premier procédé de photographie couleur produit industriellement, l’autochrome est inventée en 1903 par les frères Lumière, puis commercialisée en 1907. C’est un procédé positif sur verre destiné à la projection ou à la consultation sur visionneuse.
Lors de la fabrication de l’autochrome, une plaque de verre est enduite d’un vernis poisseux à base de latex sur lequel un mélange de grains de fécules de pomme de terre (de 10 à 15 microns) teintées (orangé, vert, violet) est saupoudré, ainsi qu’une poudre de carbone qui comble les interstices. Le tout est laminé à l’aide d’une presse à cylindre. Un vernis imperméable puis une émulsion photosensible noir et blanc (gélatino-bromure d’argent) achèvent la préparation de la plaque.
Lors de la prise de vue, la lumière du sujet est filtrée selon le principe de la trichromie par le réseau de fécules teintées avant d’impressionner la couche photosensible. Son développement par bain d’inversion est suivi de retouches. L’émulsion est protégée par l’application d’un vernis et doublée avec une plaque de verre. L’ensemble est scellé par une bande de papier gommé noir.
La fabrication des autochromes cesse entre 1932 et 1933, substituée notamment par le Filmcolor, support souple en celluloïd.
Le film
Les films produits pour les Archives de la Planète sont en nitrate de cellulose, polymère naturel qui offre à la fois les qualités requises de flexibilité pour « tourner » un film et de résistance pour supporter l’entraînement mécanique de la bobine à l’intérieur d’une caméra et d’un projecteur. Elle mesure 35 mm de largeur, « standard » professionnel toujours utilisé. Du fait de sa haute inflammabilité et de son auto-dégradation naturelle, ce support est remplacé par l’acétate, dit support « safety », dès le milieu des années vingt.