La recherche au musée

Le musée a engagé depuis sa création plusieurs projets de recherche appliqués à l'étude de corpus spécifiques des Archives de la Planète, dans le but d'approfondir les connaissances sur ces collections, confronter les approches et produire des contenus qui sont valorisés dans les expositions et les publications.

Focus sur un projet de recherche : CINEMAF, images animées - mémoires controversées

Au sein des Archives de la Planète, le musée départemental Albert-Kahn conserve une collection de plus de 1 000 autochromes et 9 000 mètres de films, issus de la mission du Père Francis Aupiais et de l’opérateur Frédéric Gadmer en 1930 au Dahomey (actuel Bénin). Une partie de cet ensemble est consacrée aux pratiques rituelles et compte parmi les travaux pionniers du cinéma ethnographique.

 

Une brève histoire des collections du Dahomey 1930

Francis Aupiais, père missionnaire de la Société des Missions Africaines (SMA), et Frédéric Gadmer séjournent au Dahomey durant les cinq premiers mois de l’année 1930 afin de filmer différentes cérémonies dans les principaux sites culturels et cultuels du pays. L’intérêt du Père Aupiais pour le « cérémonialisme » dahoméen poussera même l’expédition en pays Somba (nord Bénin) afin d’étudier et de comparer les rites et les danses observées.

Les films et les autochromes réalisés par Frédéric Gadmer servent donc les ambitions ethnographiques de Francis Aupiais qui souhaite valoriser les cultures africaines auprès des institutions métropolitaines.

Ces films du « Dahomey religieux » sont les premières images animées des cultes vodoun de l’histoire du cinéma. La connaissance du terrain, de la langue et des dignitaires dahoméens permettent au Père Aupiais d’assister à de nombreuses cérémonies prestigieuses, voire secrètes. Ce dernier insiste pour que les sujets filmés le soient intégralement, comme en témoigne la durée de certains films.

Frédéric Gadmer, opérateur pour le compte des Archives de la planète d’Albert Kahn, a déjà effectué des missions dans des conditions techniques délicates, en Afghanistan ou en Algérie. Ce dernier dispose de deux caméras dont une Debrie dotée d’un objectif de 50 mm, relativement lourde et montée sur trépied. Les séquences du « Dahomey religieux » reflètent en partie les habitudes cinématographiques propres aux opérateurs des Archives de la Planète. L’influence de la vision de la géographie humaine de Jean Brunhes est notamment visible dans certains panoramas et dans la diversité des sujets filmés tels que l’artisanat, l’agriculture et les modes de vie. Les contraintes des cérémonies vodoun forcent toutefois l’opérateur à adapter son style pour en restituer le déroulé exact.

Ces films sont muets, au grand regret du père Aupiais, faute de moyen de transport pour acheminer un phonographe.

Les films du « Dahomey religieux » ne sont pas scénarisés mais certains montages ont été réalisés à Boulogne-Billancourt dans le but de montrer des séquences thématisées telles que « Fétichisme ».

Cependant, la production du « Dahomey religieux » ne constitue qu’un versant de cette mission ethnographique de 1930. En effet, Francis Aupiais et Frédéric Gadmer réalisent un second film destiné à la Société des Missions Africaines et scénarisé dans le but de valoriser les actions des missionnaires catholiques au Dahomey. Les images de ce film, le « Dahomey chrétien », ont été prises parallèlement à celles du « Dahomey religieux » mais constituent bel et bien une œuvre à part.

Le « Dahomey religieux » connaît une rapide notoriété dans le milieu scientifique mais l’engagement de Francis Aupiais pour une « reconnaissance africaine » est rapidement freiné. Ses supérieurs lui demandent de cesser les projections et l’assignent dans un village du sud-ouest de la France dès 1931. Cette année coïncide avec la faillite d’Albert Kahn et le film ne sera jamais réellement dévoilé jusqu’à la récente politique de recherche et d’expositions du musée.

 Frédéric Gadmer en 1930 au Dahomey (actuel Bénin). Une partie de cet ensemble est consacrée aux pratiques rituelles et compte parmi les travaux pionniers du cinéma ethnographique.

Le temps de la recherche 1993-2023

Le musée Albert-Kahn a présenté en 1993 une exposition intitulée « Pour une reconnaissance africaine » centrée autour de ces collections et de la figure du Père Aupiais. De premières recherches et une mission de terrain au Bénin avaient alors été menées, ainsi qu’une exposition itinérante en 1999, présentée notamment au musée de Porto-Novo.

Depuis 2016, une double démarche d’étude et de conservation-restauration de ce fonds est lancée. Plusieurs bobines ont fait l’objet d’un mécénat de restauration et de numérisation en haute définition soutenu par Neuflize OBC . En parallèle, un atelier-laboratoire porté par le projet de recherche IDEFI-CréaTIC (Universités Paris Nanterre et Paris 8), co-piloté par le musée a permis, en 2019, d’initier une réflexion sur les modalités d’exposition de ces images filmées.

Le projet CINEMAF (2021-2023), porté par un groupement de partenaires académiques et muséaux constitué autour de l’Université Paris-Nanterre, s’adosse au Labex Les passés dans le présent : histoire, patrimoine, mémoire,auquel le musée est associé depuis 2017, au travers de conférences et séminaires.

Il part d’études de cas concrets – des films produits en Afrique pendant la période 1920-1940, en les contextualisant historiquement et ethnographiquement à la faveur d’un travail sur archives et sur le terrain.

Ce projet propose ainsi d’engager une réflexion pluridisciplinaire (ethnologie, études cinématographiques, histoire des représentations, arts plastiques) en constituant, analysant et valorisant cette mémoire cinématographique oubliée, souvent produite dans un contexte controversé – situation coloniale notamment –, afin de la resituer dans la dynamique des mondes contemporains, et d’en accompagner et favoriser les futures réappropriations.

Il comporte trois volets complémentaires :

  1. Untravail de recherche centré sur un corpus filmique relevant des mondes africains durant la période 1920-1940 – films de fiction, films des missions ethnologiques, films de propagande coloniale, films amateurs, retrouvés dans des fonds publics ou privés ;
  2. L’expérimentation de nouveaux protocoles de recherche et de différentes formes de dialogue autour de ces objets avec des descendants des populations filmées, des chercheurs et artistes des pays d’Afrique concernés ;
  3. La mise en place d’un espace de comparaison entre différents contextes d’appropriation de ce type de matériau pour enrichir la réflexion sur le corpus filmique africain par la confrontation avec d’autres régions du monde (l’Amazonie, le Pacifique, la Sibérie, etc.) où l’histoire des pratiques de remédiation est différente et plus ancienne.

Équipe-projet

  • Université Paris-Nanterre

Damien Mottier, Maître de conférences, anthropologie visuelle et cinéma documentaire, directeur du projet CINEMAF
Monica Heintz, Maître de conférences, anthropologie, directrice du projet CINEMAF
De Largy Healy Jessica, chargée de recherches, Laboratoire d’ethnologie et de sciences comparatives (LESC)

  • CNRS-Institut des Mondes africains (IMAF)

Gaetano Ciarcia, Directeur de recherche, anthropologie

  • Université Paris 8, Saint-Denis

Seiderer Anna, Maître de conférences, Laboratoire Art des images, art contemporain

  • Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

Vincent Guigueno, Directeur adjoint du Département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai Branly-Jacques Chirac

  • CNC - Direction du Patrimoine

Éric Le Roy, Chef du service Accès, valorisation et enrichissement des collections

  • Université de Bucarest, Roumanie

Otoiu Damiana, Maître de conférences, Centre Régional Francophone de Recherches Avancées en Sciences Sociales

  • Université Abomey-Calavi, Cotonou, Bénin

Didier Houenoudé, Maître de conférences en histoire de l’art

  • Center for the Less Good Idea, Johannesburg, Afrique du Sud

Bronwyn Lace, artiste et Directrice

 

Les axes de recherche à mener entre 2021 et 2023 par le musée Albert-Kahn seront les suivants :

  •  Documentation ethnographique des images
  •  Analyse formelle des images et problématiques de mise en scène du rituel ;-
  • Analyse des sources archivistiques ;
  • Contextualisation du fonds dans son époque (comparaison avec des productions contemporaines)
  •  Enregistrement de la réception critique de ces images au XXIe siècle (travail de terrain au Bénin) et  démarche de patrimoine partagé (restitution numérique de cette collection auprès d’institutions  béninoises) ;
  • Définition et mise en œuvre d’une « éthique des images », notamment celles au contenu secret et sacré, dans le cadre de leur diffusion open data.

Programme 2021-2022

Table-ronde « Du regard de l’Autre au regard sur soi », semaine culturelle du Bénin : présentation d’extraits des collections Dahomey
26-31 octobre 2021, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

Présentation-projection du fonds Dahomey des Archives de la Planète, journées d’étude CINEMAF,
6 décembre 2021, 15 h-18 h, Université Paris-Nanterre

Séminaire Arts/Archives/Performances, sous la direction de Didier Hounéoudé (Univ. Abomey-Calavi), Bronwyn Lace (Center for the Less Good Idea) et Anna Sedeirer (Univ. Paris 8)
3 janvier : Penny Siopis & Pélagie Gbaguidi.
14 mars : Roméo Mivekannin & Gaëlle Beaujean
28 mars : Sabine Theunissen.
9 mai : Louis Oke-Agbo & Lisl Ponger
30 mai : Alexander Schellow & Nelson Makengo.
Auditorium Musée départemental Albert-Kahn